Voici l’histoire de Gaston , un de nos anciens membres vélivoles , qui est passé nous dire bonjour ce week end , lorsqu’il s’est posé à melun villaroche , tout ça raconté par Alain Milbeau dans le cadre de l’histoire du CVVFR !
GASTON SE POSE A VILLAROCHE
ou « le vol fantôme »
Certains prénoms nous sont à la fois familiers et sympathiques, évocateurs d’une culture commune,
de souvenirs rieurs, tant chargés de représentations collectives qu’ils en deviendraient presque des noms communs. « Gaston » est de ceux-là.
On connaît le « Gaston et son téléfon» de la chanson de Nino Ferrer, ou celui de Franquin qui s’évertue à créer et s’épuise en maintes inventions dans l’intention paradoxale de s’éviter le moindre effort ! Mais outre cette imagination fertile pour des réalisations éphémères, étonnantes, inutiles ou posant plus de problèmes qu’elles n’en résolvent, comme celle qui aboutit à mettre le feu aux extincteurs, Gaston nous fait rire et en même temps, nous fait partager le refus -impossible- d’une vie de contraintes et d’aberrations . Il faut être un peu poète et rebelle (pléonasme?) pour se dégager ainsi des contingences misérables du quotidien…
Notre Gaston à nous est de la même famille. Naturellement. Autant poète que rebelle, ce qui lui donne cette personnalité attachante. Ses aventures sont autant d’anecdotes incroyables , inattendues, quasi surréalistes…
Nous sommes alors en Juillet 1970, à peine deux ans après les événements de Mai 68 qui ont enchanté notre héros. Electron libre dans la cacophonie collective, puisant dans les slogans de l’époque, une réflexion philosophique.
« Cours camarade ! Le vieux monde est derrière toi ! », l’idée en mouvement l’a effectivement ébranlé, lancé à la recherche de lui-même, d’un monde nouveau sinon meilleur.
Et c’est au travers de la pratique du vol à voile qu’il s’élève ainsi, au propre comme au figuré vers les nimbes improbables d’un monde de poésie et d’insouciance.
Formé par Marcel Boïdi, il a été « lâché » par celui-ci en 1969. Depuis, il vole seul, progresse
dans l’art de trouver et « d’enrouler » les ascendances. Il attend avec impatience ce jour ou les conditions météorologiques seront assez favorables pour que le Chef de centre l’autorise à tenter l’épreuve des 50 kms.
Or durant ce mois de Juillet, P.Galicher l’appelle au téléphone chez lui, à Paris.
Ce matin là, Gaston répond ! Au plus vite, il doit rejoindre le terrain pour réaliser le fameux vol de
Morêt à Pithiviers qui lui donnera son brevet de pilote.
Il saute dans sa voiture. Où plutôt il y grimpe. Si le Gaston de Franquin possédait une pittoresque Fiat 509 Jaune à damiers noirs et blancs, notre Gaston possède une rare 2cv MG…
En fait une 2cv « Modifiée Gaston » notamment au niveau du siège conducteur hors d’état qu’il
avait remplacé par une chaise en bois du meilleur effet et un peu plus haute que le siège « Lafuma »
d’origine…
Bien que poète, notre Gaston est sérieux. Ordinairement il emporte dans ses vols une carte géologique qui lui indique la nature des sols et se rend même à certains endroits pour y vérifier sur place, la composition des sols et l’essence des arbres alentours, susceptibles de présenter une évapotranspiration importante.
Ainsi il détecte en pleine forêt de Fontainebleau, de véritables « cheminées d’ascendances » dues à un sol de silice blanche planté de hêtres et de chênes .
Tenant alors en l’air plus longtemps que les autres jeunes pilotes, ceux-ci n’auront de cesse que de le suivre discrètement pour découvrir ces zones secrètes et en profiter à leur tour !
Mais aujourd’hui, il ne s’aventurera pas pour un vol aussi important sans une vraie
carte !.. Il s’arrête donc dans une de ces stations- service qui, à l’époque offraient une carte pour un plein d’essence … Puis engouffre un sandwich tout en conduisant son bolide pétaradant.
Aussitôt arrivé au terrain il s’équipe et décolle à bord du Wassmer 22 super -javelot F-CDDE.
Il est 12h 45. Le temps est effectivement celui dont rêvent les vélivoles. Des cumulus et de la convection, des « pétards » à 4m/seconde.
Gaston est grisé par ce début de vol merveilleux, il apprécie le Wassmer, un vol sur ce planeur c’est dit-il 50/50 : un vol lent à 50 kms/h pour un poids (à l’époque…) de 50 kgs !
Il grimpe en compagnie d’un rapace, un faucon sans doute; ils se regardent tranquillement, sans peur ni agressivité, ils se partagent l’espace et le plaisir de planer, il lui semble même que l’oiseau l’attend car il pourrait monter bien plus vite ! Ces trop rares moment de communion avec ces rapaces, il y goûte dans un bonheur serein, c’est une de ses quêtes et ses motivations pour le vol à voile !
Enfin, il tourne, virevolte à s’étourdir….Incroyable, il atteint 2700m ! il est le roi du monde !
Sauf qu’ il est complètement perdu ! A force de tournoyer, de goûter ces instants magiques où l’on devient semblable à un oiseau voilier, il n’a pas pris garde à sa navigation.
Et de la haut, tout se ressemble. D’autant plus qu’il n’avait jamais quitté les abords du terrain,
n’était jamais monté aussi haut et que maintenant la nébulosité a fortement augmentée en dessous de lui, masquant d’éventuels repères.
A un moment, il pense être du côté de Souppes/loing alors qu’il a déjà dérivé au Nord vers Melun, Ce n’est pas le Canal du Loing , bel ouvrage du XVIIIéme siècle qui va de Montargis jusqu’à Morêt, en continuité des canaux de Bourgogne et d’Orléans, sur lequel il voit des péniches tout en s ‘étonnant de la largeur du canal ; mais la Seine au delà de Champagne/seine, deuxième port fluvial après Conflans Ste Honorine. Il croit apercevoir l’Essonne dans sa partie amont, avant que la Rimarde l’ait rejoint du côté d’Aulnay la Riviére, trajet ou elle s’appelle l’Oeuf et qui mène en le remontant, directement à Pithiviers. Il pense d’ailleurs en être proche. A gauche ce serait Orléans et devant Pithiviers. En réalité, c’est Melun et Moissy-Cramayel ! Mais soudain la piste lui apparaît, évidente. Un long ruban de béton. On ne lui avait pas dit qu’elle était aussi belle et longue !
Il se félicite du choix du Chef-Pilote : une piste comme celle-là, on ne peut pas la manquer !
Il a de la chance , ayant perdu beaucoup d’altitude, d’être parvenu au but fixé après 2h 40 d’un vol quasi onirique
Gaston aligne son Super-Javelot et se présente en finale vers la partie en herbe qui longe le béton. A ce moment -là, un « tuyau de poële » rugissant agresse ses oreilles, mais pense-t-il, un planeur a la priorité, et la priorité, c’est la priorité ! Curieux quand même que l’on ne l’ait pas prévenu non plus de la présence d’avions de chasse…
Un Mirage vient en effet de dégager, le doublant sur sa droite.
Gaston s’applique, se pose avec délicatesse en un langoureux « kiss-landing ». Il a le coeur battant de satisfaction et de fierté. Mission réussie !
Alors qu’ il ouvre la verrière, une Estafette bleue arrive en trombe. Trois Képis en sortent.
Gaston est impressionné par la qualité et la rapidité du service d’accueil : Il est aux anges !
Déjà, il sort son carnet de vol afin que les gendarmes de l’air puissent le signer avec pense-t-il,
toute la déférence et l’admiration que l’on doit à un jeune héros qui vient de réussir brillamment son épreuve de distance de 50kms !
La verrière repoussée, Gaston descend et sollicite l’aide des gendarmes pour prendre la plume de l’aile et dégager le planeur. Pourtant, il ressent un certain malaise.
Il n’y a pas vraiment de sourire sur les visages tendus qui le scrutent curieusement.
« Monsieur, bonjour. Vous savez où vous êtes ? »
Quelle question surprenante ; les gendarmes seraient-ils farceurs ?
« à Pithiviers, bien sur ! »
« pas tout à fait, Monsieur . »
« m’ enfin?! »
« Vous êtes sur le terrain d’état de Melun-Villaroche… »
« non ?! »
« Veuillez nous suivre, Monsieur ; le Colonel commandant la Base voudrait vous voir. »
Cette fois Gaston tombe réellement des nues et revient sur terre…
Dans le bureau du Colonel, l’atmosphère est pesante. L’homme ne plaisante pas.
Se poser sans autorisation sur un terrain militaire est grave, surtout après avoir obligé un
Mirage Milan expérimental en approche à remettre les gaz pour les 12 minutes supplémentaires
de tour de piste, il va falloir s’acquitter du coût du kérozéne, (quelques 500 litres ) !
De plus, viser Pithiviers, plutôt au Sud-ouest de Moret et se retrouver à Villaroche au Nord nord-ouest, voilà qui laisse mal augurer de la délivrance de son diplôme de pilote à un si piètre navigateur !
Le Colonel veut lui-même informer de l’incident le Chef de Centre. Pol Galicher n’est pas dans son bureau, et c’est Hervé qui répond. Celui-ci, bon ami de Gaston, connaît son extravagance et croit à une farce. Extrapolant la célèbre réplique de BB à Samy Frey dans « la Vérité » de Clouzot(1960) il conclut l’exposé du Colonel par un délicat :« et mon cul, c’est du poulet ?! »
puis raccroche hilare…Peu après le commandant de la base finit par joindre P.Galicher.
D’abord il envisageait de le sanctionner pour avoir envoyé un jeune néophyte risquer sa vie au milieu des jets, mais entre militaires qui se connaissent les choses s’apaisent.
A la fin de leur conversation il s’adresse en aparté à l’un des gendarmes qui quitte la pièce.
Gaston est livide. C’était pourtant une si belle journée.
Le gendarme revient dissimulant un objet qu’il donne subrepticement au Colonel
Gaston décontenancé se voyait presque en prison et dans des difficultés noires et voilà que soudain le Colonel brandit une bouteille de Champagne en s’écriant « c’est la première fois depuis 1946 qu’un planeur se pose à Villaroche ! Ca s’arrose !
Le retournement de situation laisse Gaston pantois. Qui a dit que les militaires n’avaient pas d’humour ? Ils ont même de la compréhension mais cependant, le colonel ne signera pas les documents attestant la réussite des 50kms et le dépannage devra se faire par la route, plutôt que
par air, car il ne faut pas de traces : officiellement pour éviter toutes sanctions et problèmes,
Gaston ne s’est jamais posé à Villaroche !..Ce vol est un vol fantôme !
Seul le gain d’altitude de 1000m correctement enregistré par le barographe, sera validé.
Gaston est entré ce jour là dans la légende des Gastons.
Mais c’est « notre » Gaston, nous y tenons, et il sera à la hauteur de sa réputation lorsque quelques temps plus tard , il se pose , après être passé sous une ligne électrique, sur la pelouse du château de Bouron Marlotte ou le Marquis de Montesquiou donne une fête costumée!
On l’imagine déambulant, très naturellement, en bob et short parmi les convives en livrée ou toilette d’époque Louis XIV, buvant même (et encore!), le champagne en leur compagnie…
Incroyable Gaston qui raconte encore aujourd’hui ses exploits avec modestie, humour et drôlerie.
Merci à lui de nous autoriser à publier ce texte qui voudrait lui exprimer autant notre affection,
que notre respect et notre admiration pour qui sait avec autant de talent et de bonhomie, provoquer
et vivre des aventures aussi singulières.